En général, la mathématique est un milieu qui nous semble éloigné. En effet, l’idée que nous en avons est celle d’une personne enfermée dans un bureau en désordre griffonnant des formules sur un coin de table. Ces gens-là, nous paraissent lointains, inatteignables, des génies en somme. En réalité, ils sont comme tout le monde, à la différence qu’ils ne se disputent pas à propos des mêmes sujets.
Intéressons-nous à la dispute entre Cantor, un mathématicien Russe, fondateur de ce qu’on appelle la théorie des ensembles (En très bref, ce qui permet de compter le nombre d’éléments dans un ensemble et de dire qu’il y a certains infinis qui sont plus grands que d’autres) et Kronecker, un autre mathématicien russe qui lui est un grand nom de la théorie des nombres (c’est à dire l’étude des propriétés des nombres entiers, aussi appelé arithmétique). Kronecker était professeur de mathématiques à l’université de Berlin quand il rencontra un jeune étudiant prometteur du nom de Georg Cantor. Ce dernier lui soumet l’idée de considérer un ensemble infini comme une entité (dans l’idée, cela signifie que même si un sac de bille est rempli d’une infinité de billes, on peut toujours dire que le sac de billes existe). Cette idée révolta Kronecker, car comment pourrait-on dire qu’un ensemble infini est une seule entité, cela lui sembla, à la fois faux et très peu rigoureux. Or, l’approche mathématique demande une rigueur sans faille.
Des années plus tard, après avoir été diplômé, Cantor devint professeur de mathématiques à l’université de Halle, mais espérait un jour devenir professeur dans l’université qui l’avait formée, celle de Berlin. Il continua à travailler sur sa théorie, avançant de plus en plus dans la compréhension de ces ensembles infinis qui avait choqué son ancien professeur. Ce dernier appréhendait l’idée qu’un homme qu’il considérait comme racontant des aberrations devienne l’un de ses collègues. Il s’avère que Kronecker était à la tête du secteur mathématiques de l’université de Berlin. Jusqu’à sa mort en 1891, Kronecker fit tout ce qui est en son pouvoir pour que Cantor n’accède à aucun poste dans cette université. Il alla jusqu’à entacher la réputation de Cantor, à tel point que lorsque son ami Eduard Heine mourut en 1881, laissant ainsi une chaire vacante à l’université de Halle, trois mathématiciens cherchant un poste en université refusèrent celui qui leur était proposé. Même celui qui fut nommé à ce poste gardait ses distances avec Cantor de peur de donner compromettre sa crédibilité.
Cela provoqua chez Cantor un profond désarroi mêlé d’une pointe de tristesse. En plus de cela, Cantor était déjà fragile psychologiquement. Cet événement fut le déclencheur de sa première dépression en 1884. Après cela, Cantor décida de ne plus enseigner les mathématiques pendant un temps, doutant lui-même de ses capacités. « Je ne sais pas quand je pourrai retourner à la poursuite de mes travaux scientifiques. Pour le moment, je ne peux absolument rien faire dans ce sens et je me limite au strict nécessaire, à savoir donner des cours ; combien je voudrais être actif scientifiquement et si seulement j'avais la vivacité d'esprit nécessaire. » témoigne-t-il dans l’une de ses lettres.
Cantor ne retrouva jamais le talent qu’il eut entre 1874 et 1884, période durant laquelle il publia suffisamment pour devenir tout de même un des grands noms des mathématiques modernes.
Mais l’histoire ne se finit pas ainsi. Des années plus tard, Cantor convint Kronecker de faire la paix, ce qu’il accepta tout de suite. Pour autant, il ne changea pas ses positions quant à l’accession de Cantor à une chaire dans le département de mathématiques de l’université de Berlin. De plus, la réputation de Cantor ne fut finalement pas si dépréciée puisqu’il organisa en 1891 une conférence sur la théorie des nombres et invita Kronecker, qui accepta de venir sans soucis.
Cependant, toute sa vie Cantor en voulu à Kronecker de ne pas lui avoir permis d’enseigner dans une université digne de son niveau et surtout d’avoir diminuer l’importance et la révolution que sont les travaux de Cantor. Sur ce point, David Hilbert, sans doute l’un des plus grands mathématiciens du XXème siècle et le dernier réellement pluridisciplinaire, a dit « personne ne nous chassera du paradis que Cantor nous a créé ».
Pour conclure / Pour finir (La moral de l’histoire), c’est que même dans un milieu tel que celui de la mathématique, où la logique et l’intelligence sont censées l’emporter sur tout le reste, il reste des conservateurs qui ne veulent pas laisser évoluer leur monde, ne reconnaissant pas le talent que la jeunesse peut avoir pour apporter des idées novatrices et propices à ce que le changement se fasse dans le bon sens et pour le bien commun. Malheureusement, ce sont ces mêmes personnes qui ont le pouvoir de changer l’opinion. Pensons à tout ce que Cantor aurait pu apporter à son milieu s’il n’avait pas été muselé de force. Maintenant, pensons à tout ce que nous pourrions améliorer si nous laissions la jeunesse s’exprimer, si nous laissions la voix de nos jeunes raisonner tellement fort que nous serions obligés d’au moins les écouter ; parce qu’en réalité, ce sont eux qui comprennent les problèmes de notre société et en subissent les conséquences de plein fouet, parce que ce sont eux les rêveurs qui aspirent à un monde meilleur, et c’est le rôle des personnes avec plus d’expérience de faire de leurs mieux pour que ces rêves ne le restent pas.
Damien ERGUN
Source :
Commentaires