En décembre dernier, la “nouvelle gauche” (3) a pris le pouvoir au Chili, pays pourtant souvent qualifié de “laboratoire du libéralisme''. Après 20 ans d’alternance des partis traditionnels, de droite et de gauche, c’est Gabriel Boric, 35 ans, qui a été élu à la tête du pays grâce au mouvement Apruebo Dignidad (« Je soutiens la dignité »), coalition de gauche et d’extrême-gauche. Il est entré en fonction le 11 mars 2022 et les perspectives pour son mandat semblent aussi riches de promesses que de difficultés.
Un contexte de tension populaire et de demande de justice sociale.
Son élection ne doit pourtant pas grand-chose au hasard. En 2019, un mouvement social d’une ampleur et d’une violence inédites conduit le gouvernement à soumettre la refonte de la Constitution à un référendum. Cette Constitution, héritée du tristement célèbre dictateur Augusto Pinochet (au pouvoir de 1973 à 1990) , concentre alors les rancœurs et les aspirations à un changement d’ère. Sa modification, approuvée par 78% des participants en octobre 2020, a été remise dans les mains de 155 citoyens désignés en Assemblée Constituante, dont le travail a commencé le 4 juillet 2021 et a été prévu pour durer un an. L’élection de Boric s’inscrit dans ce mouvement de refonte du système politique du pays, de renouveau des institutions lourdement marquées par l’héritage de la dictature.
Boric, un personnage qui symbolise le changement
Malgré son “jeune” âge (35 ans est l’âge minimal pour se présenter à l’élection présidentielle au Chili), Gabriel Boric n’est pas un inconnu de la scène politique chilienne. Figure des mouvements étudiants de 2010 contre le coût des études supérieures, il devient à 27 ans membre du Congrès comme député de Convergence sociale, le parti qu’il dirige et qui fait partie de la mouvance plus large du Frente Amplio (“Front Large”), membre de la coalition qui l’a amené au pouvoir en 2021. Surtout, il soutient activement les manifestations de 2019 et le projet de nouvelle Constitution, parfois sans l’aval de ses partenaires politiques. Son militantisme pour la refonte de la Constitution et son appel à la mise en place d’un Etat-Providence font résonance à la demande de justice sociale qui émane des mouvements sociaux dans le pays et expliquent en large partie sa victoire face au candidat d’extrême-droite José Kast, surnommé le “Bolsonaro” chilien (3).
La refonte des institutions : lourds enjeux et faibles marges de manœuvres
Considéré comme le pays “le plus inégalitaire de l'OCDE, avec une classe moyenne endettée pour pouvoir payer les frais d'éducation, de santé et une retraite privée” selon les Echos (1), le Chili fait face à une demande de justice sociale qui s’est en partie incarnée dans l’élection de Boric. Les analogies avec l’élection de Salvador Allende (2) en 1970 sont nombreuses et porteuses d’espoir comme de craintes. Pris entre le feu de ceux qui le taxent de communiste en prédisant l’effondrement des marchés et ceux qui le traitent de “jaune”, le jugeant trop prudent avec ses adversaires, la tâche s’annonce hardue (3). Les partis traditionnels conservent en effet une grande part du pouvoir législatif via les mairies, les régions et le Congrès. Les ambitions de Boric sont pourtant claires : une “nouvelle politique fiscale visant [...] à taxer les grandes fortunes et les grandes entreprises pour alimenter ses réformes sociales”. Via notamment la taxation de domaines “clés” et très lucratifs du Chili tels que l’extraction de lithium et de cuivre, le mouvement veut financer un service public d’éducation, de santé et de retraite. Reste à savoir si la modération de Boric et ses gages de confiance sauront satisfaire et la demande sociale et les intérêts privés...
Grande victoire et questionnements profonds chamboulent ainsi la politique au Chili. Seul l’avenir et la mobilisation populaire sauront modeler l’avenir chilien mais nul doute que la période sera décisive pour tout un peuple.
(1) https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/trois-choses-a-savoir-sur-gabriel-boric-le-plus-jeune-president-de-lhistoire-du-chili-1373825
(2) Au pouvoir jusqu’à sa mort en 1973 lors du coup d’état mené par Augusto Pinochet.
(3) Tout commence au Chili, Le Monde Diplomatique https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/GAUDICHAUD/64194
Par Laurène VILLACAMPA
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