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Les voix de l'exil




K. et R. sont 2 jeunes Afghans arrivés seuls en France il y a environ 4 ans à la suite d’un long et douloureux voyage initié en 2015. Après plus d’une année en France, ils ont obtenu leurs papiers et ont démarré une formation au CFA. Aujourd’hui, en 2021, ils ont obtenu leur CAP et ont fait le choix de poursuivre à un niveau supérieur, l’un en BP, l’autre en BAC PRO.




Ce sont de jeunes hommes sérieux et investis, très courageux et méritants. Tous les deux viennent d’obtenir une médaille d’argent au concours MAF, ont réussi leur permis de conduire et ont même acheté leur 1ère voiture.

Ils semblent marcher d’un bon pas vers une intégration réussie ; comme s’il était possible, enfin, pour eux, de se projeter dans un avenir plus tranquille, plus apaisé, plus sécurisé…



6 ans qu’ils ont fui l’Afghanistan. Ils sont nés avec la guerre, la violence quotidienne, la mort en pleine conscience. Ils n’ont pas beaucoup étudié. Mais ils ont travaillé, sans compter. Pour aider leur famille, simplement pour survivre et plus tard en Iran, pour payer les passeurs qui allaient les mener jusqu’en Europe, ils ont même accepté de travailler comme des esclaves. Leur adolescence n’a pas eu le temps d’éclore puis de s’épanouir, tuée dans l’œuf.



L’exil les a rendus adultes dans leur solitude, leurs inquiétudes, les violences traversées, les décisions qu’ils sont seuls à prendre. Ils ne rêvent plus beaucoup. Et pourtant ils gardent l’âme d’un enfant, quand ils jouent entre eux, s’émeuvent devant les films pour gosses. Jeunes hommes à la fois immatures et graves, en déséquilibre permanent, en décalage et déroutants, tellement éloignés des ados d’ici.



Le 15 août les Talibans sont entrés dans Kaboul et une montagne s’est élevée sur leur chemin. Infranchissable depuis. Ils ont perdu définitivement leur pays. Qui sont-ils aujourd’hui ? Des âmes errantes, meurtries de culpabilité, de honte et d’impuissance. Leur drapeau n’est plus, celui qui les rendaient si fiers, accroché sur le mur dans leur maison.



Mais là-bas, il reste la famille, implorante (parfois menaçante), en survie. Elle crie à l’aide, chaque jour un peu plus fort, terrorisée par les attentats de Daech, la barbarie des Talibans, la famine. Ses cris sont intenses, résonnent sans cesse dans leurs têtes, même la nuit. L’apaisement s’en est allé. Il ne reste que ces appels au secours, obsédants, cruels, tels une accusation. Jusqu’ici ils étaient responsables de l’amélioration du quotidien des leurs, aujourd’hui c’est une question de vie ou de mort. Il faut faire plus.



Mais comment ? Impossible d’envoyer plus d’argent, les transferts de fonds sont bloqués et ils gagnent encore si peu. Solliciter un regroupement familial auprès de l’Etat français ? Impossible également, les frontières se referment partout en Europe. Mais il faut, c’est leur devoir, sauver ceux qui sont restés, coûte que coûte. Il reste alors le sacrifice de leur vie propre.



Aujourd’hui, les Talibans ont un pouvoir de destruction massif et touchent au cœur K. et R. et bien d’autres jeunes encore. Désormais il n’est plus question de poursuite d’études, il n’est plus question de projet de vie personnelle et épanouie en France. Il n’est plus question de rien. Juste de se jeter dans le désespoir le plus sombre pour apaiser le poids de la culpabilité. « Je ne peux rien faire mais je dois faire quelque chose quand même ». Et faire revient à défaire ce qu’ils sont parvenus à construire.



K. et R. ont peu étudié dans leur pays d’origine. Ils rêvaient d’éducation et de liberté en Europe. Mais les loups sont entrés dans Paris. K. et R., charmants jeunes hommes, j’aimais vos sourires. J’ai cessé de rire. Dans ce foutu pays de France, dans ce foutu monde.



Cécile Pellerin


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