« Violaine, il paraît que tu écris des livres ! C’est vrai ? Tu es auteur ? Enfin, auteurE, autrice ? Comment tu préfères ? »
À vrai dire, je ne m’étais pas posé la question avant qu’on ne le fasse pour moi. Enseignant pourtant l’importance d’un vocabulaire précis, j’employais -avant- le masculin « écrivain », sans me soucier de l’existence ou non de son pendant féminin « écrivaine ». D’ailleurs, lorsque j’ai obtenu mon CAPES de Lettres, personne ne m’a demandé si je préférais professeur ou professeure, et pourtant la question était tout aussi légitime.
Alors pourquoi un tel questionnement sociétal sur la féminisation du terme auteur ? Sur les différents réseaux sociaux, le choix de la désignation revient à une revendication. Des femmes militent pour le proche du masculin « auteure », d’autres s’insurgent et se trouvent davantage féministes à retrouver l’étymologique « autrice ». Hier encore, un collègue découvrait ma page Instagram : « Auteure, ça existe ? », et des débats enflamment le web : « Ecrivaine et autrice, c’est moche, non ? »
Revenons à ce qui est correct selon celle en qui on peut faire confiance, j’ai nommé L’Académie française. Elle accepte depuis peu auteure, autrice et auteur, mais, et c’est là que le bât(-bleu) (1) blesse, le terme autrice a été, à partir du XVIIe, exclu du dictionnaire, considéré comme un néologisme (alors qu’il existait depuis l’antiquité). On considère en effet à partir du siècle des Lumières que la femme ne peut pas écrire. La disparition des féminins est donc à la base une vraie volonté d’empêcher les femmes de s’exprimer.
Comme l’indique sur France Culture Aurore Evain, chercheuse, comédienne et metteure en scène, « quand on ne peut pas être nommée dans une fonction, on va avoir aussi beaucoup plus de mal à se sentir légitime dans cette fonction et à aller réclamer une augmentation de salaire, des égalités, etc. […] Et d’ailleurs les féministes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle […] ont réclamé le droit de vote et elles ont réclamé la possibilité d’être nommées au féminin. » Nommer, c’est bien légitimer la fonction. Nos lois ont accordé le droit d’écrire, alors pourquoi se battre encore ?
En réalité, même si nous pouvons choisir autant de lire un auteur ou une autrice, nous ne pouvons que constater que le marché littéraire en France est prédominé par des hommes. Qu’en est-il des ventes ? Selon Actualitté (2), il faut attendre la 6ème place pour qu’une femme, Virginie Grimaldi, se hisse dans le classement des meilleures ventes en 2021, elle est suivie par Leïla Slimani (7ème) et Amélie Nothomb (9ème). Trois femmes sur les dix best-sellers 2021.
Les détracteurs s’empresseront de dire que les femmes écrivent moins, et que, par conséquent, elles sont moins publiées. Au Québec, l’UNEQ, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, a créé un Comité Égalité hommes-femmes (3), dont le mandat est de réfléchir aux inégalités entre les sexes dans le monde du livre et de sensibiliser à ces inégalités afin de promouvoir une plus grande équité. Il y apparaît qu’autant de femmes que d’hommes soumettent des manuscrits.
Que deviennent-ils ? Une étude américaine (4) cette fois-ci, de la chercheuse Dana B. Weinberg et du chercheur Adam Kapelner, indique, d’après un échantillon de deux millions de livres publiés en Amérique du Nord entre 2002 et 2012, que « […] la dévaluation systématique du travail des femmes par rapport à celui des hommes […] s’exprime à trois niveaux dans l’industrie du livre : dans la sélection des signatures selon les genres littéraires, dans la différence de prix des livres selon leur genre, considéré comme féminin ou non, et dans la différence de prix des livres de même genre et même format selon le sexe de la personne qui les signe, homme ou femme. » De George Sand à J.K. Rowling, les siècles ont passé, mais l’indice du genre féminin reste absent de la couverture.
Une fois publié, un roman doit encore être lu et subir une bonne critique afin d’obtenir une publicité efficace. Le rapport de Stella Count (5) en 2015 constate que bien que les écrivains femmes comptent pour les deux-tiers de la population des auteurs en Australie, elles restent deux fois moins visibles que leurs confrères masculins dans la presse où leurs ouvrages restent moins chroniqués. Si on est moins vu, on est moins lu…
Quid dans l’éducation nationale ? En France, le programme du lycée est limitatif. En première cette année, sur les douze œuvres du programme du baccalauréat général, trois sont écrites par des femmes (Olympe de Gouges, Madame de Lafayette et Marguerite Yourcenar). En 2023, il n’y en aura plus que deux, Yourcenar et Lafayette laissant leur place à Colette. Notre patrimoine littéraire féminin est-il si pauvre ?
Mon avantage, peut-être, est que j’enseigne au collège. Les œuvres y sont laissées au choix de l’enseignant selon des entrées à thème. Le professeur de français doit offrir une culture variée, mais peut piocher comme il le souhaite dans la littérature tant qu’il répond aux questionnements spécifiques de l’année. Mais, si son enseignant ne prend pas garde, un élève peut, dans sa scolarité, lire seulement des hommes et ne jamais étudier une femme !
Pour ma part, j’essaie donc d’étendre mes groupements de textes à la littérature d’autrice. En 5è, je ne peux pas oublier Chrétien de Troyes, mais je peux étudier Bisclavret de Marie de France. J’analyserai la richesse des vers de Ronsard en 4è, mais je n’oublierai pas les sonnets de Louise Labé. Je lirai en 6è les contes de Perrault, mais m’attarderai aussi sur la Belle et la Bête de Mme Leprince de Beaumont. Enfin, je proposerai la lecture d’auteurs et d’autrices contemporain.e.s afin de ne pas considérer un genre comme inférieur : qu’ils lisent de la romance, de la littérature jeunesse, des bandes dessinées, ou de la littérature de l’imaginaire, qu’importe, s’ils lisent, s’ils sont curieux ! S’ils se questionnent !
Aussi, j’essaie d’orienter mes travaux d’analyse : pourquoi les femmes sont-elles si peu nombreuses dans les Fourberies de Scapin ? Que se passerait-il si les codes s’inversaient comme dans Le Bel au Bois dormant de Karrie Fransman et Jonathan Plackett ? Si Juliette venait retrouver Romeo dans son tombeau ? Étudier des œuvres d’hommes dans une époque, revient à questionner l’époque et à la mettre en perspective avec la nôtre.
De même, les travaux d’écriture offrent des possibilités plus vastes. Après une étude de Robinson Crusoé ou de L’île au trésor, faire écrire aux élèves le naufrage de Léna Crusoé permet d’étendre le sujet. Inventez les aventures de Blanche la chevalière (puisqu’il est prouvé que les femmes chevaliers ont existé) ouvrira la perspective. De même, les garçons, peu habitués à écrire au genre féminin, réaliseront la complexité de la langue et de ses accords.
Enfin, il me paraît primordial en tant qu’enseignante d’annihiler les clichés de genre. Le passage du texte au jeu théâtral permet de dévier les stéréotypes. Que Scapin soit une fille ne change rien à ses Fourberies. Que Cyrano écrive une lettre d’amour à un homme n’enlève rien à la beauté de son texte.
Ce n’est donc pas tant le choix des mots que sa réception qui importe. Que je sois auteur, auteure, autrice, écrivain ou écrivaine, ne changera en rien ma passion pour l’écriture, ni la réception de mes œuvres par mes lecteurs et lectrices.
Violaine JANEAU
Publications :
Le Pouvoir du Temps, intégrale, Livresque édition, 2021
Monseigneur Blanche, Livresque édition, 2020 De la SF, en attente d'un éditeur.
Notes :
(1) Bas-bleu : Expression française du XIXème siècle calquée sur l’expression anglophone blue-stocking du même sens qui fait allusion à un lord anglais fréquentant les salons en bas-bleus au XVIIIème siècle. Le terme a pris une connotation péjorative pour désigner les femmes à prétention littéraire.
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