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La re-prolifération de l’arme nucléaire, c'est quand que ça dégénère ?


Illustration par Steve Nunes



La bombe atomique créée par les États-Unis dans le projet Manhattan, en destination des Japonais (sur Hiroshima) a engendré de fulgurantes pertes ainsi que la capitulation du Japon quelques semaines plus tard. Depuis cela, d’autres pays se sont munis de l’arme nucléaire et il n’est pas faux de dire que depuis que des grandes puissances, tels que la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS (puis la Russie) et la Chine ont possédé l’arme nucléaire, il n’y a plus eu de guerres entre les grandes puissances. Néanmoins, des tensions, notamment entre bloc étasunien et bloc de l’URSS, ont demeuré jusqu’en 91.


Aujourd’hui, 11 pays détiennent l’arme nucléaire, comment peut-on imaginer une stabilité des relations entre pays au vu des dégâts fulgurants que peuvent produire l’arme nucléaire (pollution radioactive des sols, morts, développement de cancers et de malformations sur des générations…) ? Et puis, comment garantir la paix dans le monde lorsque le stock d’armes nucléaires actuel est capable de détruire 20 fois la planète, c’est-à-dire 19 fois de trop.


Au départ, ils n’étaient que cinq


Les États-Unis sont les premiers à se munir officiellement de l’arme nucléaire en 1945 : la première arme conçue en destination de la ville d’Hiroshima (Japon) s’appelle « Little Boy », d’une puissance d’environ 15 Kt (la puissance de 1 Kt équivaut à celle de l’explosion de 1000 tonnes de TNT) elle a tué sur le coup 75 000 personnes et environ 250 000 personnes au total, sans compter les milliers de morts de personnes souffrantes des années plus tard ainsi que les milliers d’enfants nés avec des malformations congénitales.

En 1949, l’URSS effectue son premier essai nucléaire d’une bombe atomique d’une puissance de 22 Kt près de Semipalatinsk (Kazakhstan). Le Royaume-Uni en 1952, effectue son premier essai d’une bombe atomique de puissance de 25 Kt sur une baie de l’île de Trimouille près de l’Australie. La France effectue son premier essai en 1960, sous le nom d’opération « Gerboise bleue », d’une bombe d’une puissance de 70 Kt, dans le Sahara algérien. Enfin, la Chine détient l’arme nucléaire en 1964 et effectue son premier essai dans le Xinjiang (Chine).


Le Traité de Non-Prolifération nucléaire


Ce n’est que quelques années après qu’est signé le Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) pour mettre un terme à la multiplication des missiles sur la planète. Ce texte, signé en 1968 puis entré en vigueur en 1970 stipule deux choses :

1) Le traité interdit aux pays n’ayant pas l’arme nucléaire de la posséder, mais interdit aussi à ceux qui la possèdent d’aider les pays dépourvus de l’arme nucléaire à en acquérir. De toute façon, ceux qui avaient l’arme nucléaire ne comptaient nullement les aider.

Bien que la possession d’armes nucléaires soit interdite, les pays dépourvus de l’arme nucléaire ne peuvent tout simplement plus s’en acquérir : ou bien, parce que ce sont des pays proches de la Russie (URSS) subissant des pressions, ou bien, parce qu’ils n’en ont pas les moyens, ou encore, parce qu’ils pensent que s’ils renoncent à l’arme nucléaire leurs voisins aussi y renonceraient.

2) Le traité veut aussi que les puissances nucléaires s’engagent à réduire leur stock d’armes nucléaires jusqu’au désarmement complet. Mais cela est plus compliqué.


Ce texte fige donc le nombre de pays détenant l’arme nucléaire à cinq, ceux s'étant armés avant 1968. Cela est insupportable pour certains pays qui ne peuvent opérer de plan de lancement d’armes nucléaires en ce que le TNP ne les reconnaîtra pas en tant que puissance nucléaire et que, par conséquent, ces pays subiront des pressions folles (économique comme diplomatique) de la part d’autres pays afin d’arrêter leur armement nucléaire.


Des pays qui se sont armés même après l’entrée en vigueur du TNP


Certains pays ont mis en place des projets secrets de mise en lancement d’armes nucléaires et ceux bien après que de nombreux pays aient signé le TNP. Par exemple, on peut citer Israël, l’Inde et le Pakistan pour lesquels ils ne violent pas le droit international vu qu’ils n’ont pas signé le TNP. De plus, ils ne sont pas reconnus comme états nucléaires officiels, car ils avaient effectué leurs essais nucléaires avant le 1er janvier 1967 comme l’exige le TNP. L’Inde dénonce d’ailleurs ce traité qui fige la situation à un moment clé où la Chine détenait l’arme nucléaire et non l’Inde.

D’autres pays ont mis en place des plans de lancements alors même qu’ils avaient signé le TNP, des pays comme la Corée du Nord depuis les années 80 car l’arme nucléaire est pour elle une assurance-vie de son régime, l’Iran pendant les années 50 qui lance un programme mi-officiel mi-clandestin de mise au point d’armes nucléaires ou encore l’Irak en 1959 qui après la guerre du Golfe, lança un programme nucléaire clandestin très avancé qui sera par la suite démantelé.

Aujourd’hui, se pose la question de qui a ou de qui va lancer un projet de lancement d’armes nucléaires : des questions s’investissent sur de nombreuses tables à propos du fait que le Japon pourrait très bien s’armer nucléairement car elle possède déjà les technologies du nucléaire civil. C’est pourquoi, après la découverte des plans secrets d’armes nucléaires d’Irak, l’on a renforcé la surveillance des activités radioactives et sismographiques en implantant des stations un peu partout dans le monde.


Une période de désarmement après la signature du TNP


Après la signature du TNP, s’est signé d’autres traités et accords sur la limitation et la baisse des facteurs stratégiques nucléaires et en a découlé que la réserve d’armes nucléaires a été divisée par 5 depuis 1985 (année record en termes de quantité d’armes nucléaires) atteignant ainsi 13 126 unités.







Stock estimé des têtes nucléaires présentes dans le monde de 1945 à 2022 – Données extraites de la Fédérations des Scientifiques Américains


La volonté de préserver un privilège


Posséder l’arme nucléaire est un privilège et les puissances armées vont tout faire pour empêcher les autres pays de s’armer.

L’URSS, lorsqu’elle est tombée, s’est découpée en quatre États dotés de l’arme nucléaire, à savoir la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie. Il a été convenu que seule la Russie conserverait l’arme nucléaire et que les trois autres pays signeraient le TNP et renonceraient à l’arme nucléaire.

En 2018, Donald Trump fait retirer les États-Unis d’un traité nucléaire (INF) visant à bannir les missiles ayant une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres car il estime que la Russie viole l'accord depuis plusieurs années. C’est ainsi que recommence la course à l’armement nucléaire : une course dans laquelle les stocks en armes nucléaires baissent mais dans laquelle ces armes sont utilisées dans des lieux stratégiques clés, à savoir à proximité des Russes (comme en Pologne ou en Roumanie), et pouvant avoir des conséquences catastrophiques.


Qu’est-ce qui fait la légitimité des puissances nucléaires ?


C’est un paradoxe qui se pose ici, dans les années 50 les puissances nucléaires ne voulaient pas que d’autres pays s’arment nucléairement car ils craignaient une instabilité. C’est hypocrite mais c’est une réalité : la dissuasion nucléaire ne marche plus dès lors que l’arme nucléaire est détenue par un trop grand nombre de pays. En effet, les chances de déclenchements accidentels ou de malentendus diplomatiques menant à un conflit seraient très grandes. De plus que, dès lors qu’un pays frappe un autre à grand coup de bombe atomique, ce sont tous les pays qui en font les frais ! Car un nuage radioactif ne s’arrête jamais aux frontières d’un fleuve en contournant tout un pays.


Les États-Unis et l’URSS (puis la Russie), qui sont les deux puissances détenant la majorité des armes nucléaires, ont tout fait pour empêcher les autres de se munir du nucléaire en plus de justifier leurs seules légitimités à la détenir.

Les États-Unis pensaient que comme ils étaient un état démocratique par excellence, ils seraient les plus légitimes à détenir l’arme nucléaire et ce mieux que d’autres pays moins attentionnés.


De son côté, l’URSS justifiait qu’il fallait un équilibre en armes avec les Américains, car au final, selon les Soviétiques, ce sont les Américains les plus menaçants, ce sont ceux qui tentent de créer une digue en Europe contre leur pays.

Au départ, les États-Unis et l’URSS empêchèrent la Chine et la France de posséder l’arme nucléaire car la France deviendrait indépendante des États-Unis, la Chine de l’URSS.

C’est après que ces pays, Royaume-Uni y compris, sont devenus des puissances nucléaires et que « l’équilibre de la terreur » a pris fin. L’arme nucléaire est devenue un marqueur de puissance, elle a changé le statut international de la France et du Royaume-Uni (et de la Chine dans une plus ou moins grande mesure du fait qu’elle est devenue, aussi, une puissance économique ventripotente).



Arrêter de voir l’arme nucléaire sous le prisme militaire


La Corée du Nord, dont le nom des dictateurs Kim Il-Sung et Kim Jong-Il étaient peu connus du grand public, a gagné en visibilité. En effet, la Corée enchaîne les tests de missiles : lorsque Kim Il-Sung et Kim Jong-Il étaient au pouvoir ils ont effectué en tout une trentaine d’essais, alors que Kim Jong-Un a fait des essais de 130 missiles dont 4 nucléaires en 10 ans.


La Corée du Nord devient une menace, elle inquiète l’Onu, elle inquiète les Chinois, et pourrait entraîner une escalade de la violence entre elle et la Corée du Sud.

Ainsi le nucléaire n’a plus une dimension stratégique mais bien diplomatique : la grille de lecture militaire n’est plus suffisante. Que Kim Jong-Un soit pris en photo en train de serrer la main de Donald Trump, ceci est un message fort : la Corée est reconnue comme menaçante et peut par conséquent faire pencher dans les décisions internationales, la Corée n’est plus ce pays marginalisé et faible mais, est une puissance reconnue sur la scène mondiale, c’est la « diplomatie d’affichage ». La Corée arrive donc à s’élever en puissance alors même qu’elle n'est pas une puissance économique, car hermétique à la mondialisation, elle a tout misé sur une puissance militaire.


Par ailleurs, la Chine devient aussi menaçante : elle a développé des missiles hypersoniques, missiles pouvant voler à 5 fois la vitesse du son dont l’avantage, qui la sépare des simples missiles balistiques, est qu’elle est très maniable et peut changer de direction très facilement, rendant ainsi inefficaces les systèmes anti-missiles américains et poussant les Américains à faire davantage d'efforts dans la recherche technique notamment dans la conquête de l’espace en développant des satellites capables de détecter les missiles hypersoniques.

La dissuasion ne permet peut-être pas la paix, et cela est logique car la paix n’est pas l’équilibre de la terreur, mais elle est un outil diplomatique aujourd’hui capable de faire peur et de faire s’élever des serrages de mains symboliques comme des conflits diplomatiques et une reconnaissance par les autres pays sur la scène internationale. Cependant, cette idée pourrait ne plus sembler valide depuis l’invasion de l’Ukraine et l’annonce par Vladimir Poutine d’utiliser des armes biologiques et des « forces de dissuasion […] en régime spécial d’alerte au combat », à savoir des armes nucléaires, en destination de l’Ukraine. Alors, annonce sérieuse ou énième tentative d’un dirigeant à se faire valoir sur la scène internationale ?



Par Steve NUNES


Sources :

- Expliquez moi... La prolifération nucléaire - Pascal Boniface, Youtube https://www.youtube.com/watch?v=-OGKveyB9yc

- Abolir le nucléaire civil et militaire - Jean-Marie Pruvost-Beaurain, éditions Terre d’Espérance

- Programme nucléaire de l’Iran - Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_nucl%C3%A9aire_de_l%27Iran

- La dissuasion nucléaire est-elle plus efficace que la diplomatie ? - 28 Minutes – ARTE https://www.youtube.com/watch?v=RTiQREzVs9k

- La menace nucléaire de Vladimir Poutine, annonce en l'air ou réel danger pour le monde ? – France 24 https://www.france24.com/fr/europe/20220228-le-pari-nucl%C3%A9aire-de-vladimir-poutine-menace-en-l-air-ou-r%C3%A9el-danger-pour-le-monde

- Status of World Nuclear Forces – Federation of American Scientists https://fas.org/issues/nuclear-weapons/status-world-nuclear-forces/



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