Si vous voulez votre seconde chance, vous devrez suivre les ordres.
C’est une voix de femme. Je touche l’oreillette qu’on m’a greffé à droite. Je m’assois et regarde autour de moi, je suis dans un lit, au centre d’une petite pièce ronde, sans fenêtre. Je me demande comment j’arrive à voir vu qu’il n’y a ni lampe ni lumière du jour.
— Je suis mort.
Quatre missions vous seront données, à l’issue desquelles vous récupérerez votre mémoire et votre vie.
Tiens, c’est vrai que je ne me rappelle de rien. Des missions ? Pour récupérer la vie ? Un peu absurde non ? Je n’aime pas cette façon de vouloir me contrôler... Mais je ne suis pas un héros non plus, je vais coopérer et on verra. Mieux vaut ne pas poser trop de questions, même s’il y en a plus d’un milliard qui se bousculent dans ma tête.
— Ok.
Votre première mission sera de prendre le réseau 11.20.78 et de récupérer le paquet 55. Vous le déposerez au relais A de la station 45.11.
— Pas compris. Comment je sors d’ici déjà ?
Prenez la porte sur votre gauche.
— Oh, je ne l’avais pas vue.
Au mot « vue », la femme ricane. J’avoue que j’ai du mal à l’imaginer rire. J’imagine une femme de dix ans de plus que moi, stricte, avec un chignon. J’espère que derrière cette porte il y a un miroir, j’aimerais bien savoir à quoi je ressemble moi aussi. Je traverse la porte en caressant une moustache qui commence à repousser. C’est alors qu’un souvenir arrive en me provoquant un mal de tête fulgurant. Je ne vois rien, mais je peux sentir le rasoir dans ma main, et la mousse sur mon visage. Une musique tourne en l’arrière-plan. Ma migraine s’arrête en même temps que la sensation du rasoir dans ma main.
Arthur. Vous...êtes opérationnel ?
— Ouais j’suis « opérationnel » c’est bon.
J’ai envie de la charrier, comme si je la connaissais. Mais je me reprends : elle a ma vie entre ses mains donc on ne va pas faire le con. J’arrive dans un couloir, éclairé par des néons avec des portes marquées dans l’ordre alphabétique. C’est toujours aussi silencieux. Et toujours pas de miroir. Je remarque avec curiosité un tatouage en code-barre sur mon poignet.
Chapitre 1
Bonjour Arthur. Vous êtes mort.
— Hein ?
— Je vais où ?
Continuez sur votre droite, jusqu’à la porte F. Après, prenez le réseau 11.20.78 récupérez le paquet 55, puis déposez le au relais A de la station 45.11.
J’arrive devant la porte F, verrouillée.
Passez votre code. À votre poignet.
Je passe mon bras sur le capteur et déverrouille la porte. J’arrive dans une station de métro. Je ne suis plus seul ! Je vois des gens, mais tous me passent devant. Je fais pareil, si on est ici, c’est parce qu’on est mort, mais je suis quand même un peu déçu. Un engin arrive, il est intitulé « 11.20.78 ».
Prenez ce réseau, arrêtez-vous quand je vous fais signe. C’est une opération secrète, on pourrait être jaloux de votre deuxième chance. Ils sont imprévisibles.
J’ai encore une migraine, je suis dans une ville sinistre de zombies, guidé par une petite voix louche qu’on m’a greffée et imposée, m’apprêtant à effectuer une mission pour je ne sais quelle organisation qui me promet de me ressusciter. J’embarque dans le métro. Je ne sais même pas où je vais.
Chapitre 2
Je dois demander le paquet 55 au guichet ECCQUEIL. J’accoste un mec, lunettes et piercings. Ça fait bizarre de parler à quelqu’un, de se faire donner ce paquet sans un regard aussi. Je lui souris et il me fait une grimace, flippant. Je retourne à la station 45.11 comme on m’a dit.
Rendez le paquet au clown de l’entrée. C’est une couverture, faites une photo avec lui. Vous avez un téléphone sous votre siège.
On se croirait dans un film. Un clown comme couverture ? Ouais je dois me trouver dans un quartier mal famé. Un quartier mal famé de la ville des morts...C’est vraiment louche. J’arrive à l’entrée 45.11, il y’a un mec déguisé en clown, seule touche colorée. Loin de la rendre plus gaie, il la rend encore plus glauque.
— Hé, je peux faire une photo ?
Le mec m’entoure de ses bras, m’arrache mon paquet et nous prend en photo. Un « bip » presque imperceptible retenti dans la prothèse de ventre du bonhomme, le clown fronce les sourcils avec un air de « Merde, merde, il n’a pas entendu hein ? Merde... » Il me repousse et Petite voix fait :
Marchez d’un air naturel, prenez le métro, je vous donne la mission suivante, ne parlez à personne.
— Déconnez pas, y’a rien de naturel ici.
Que...Quoi ?
— Merde fermez la ! Putain ce que j’ai mal au crâne...
Je crois que Petite voix est perturbée là. Je ne comprends pas ce qui vient de se passer, mais j’ai le temps de me servir un café...potable à une machine automatique avant qu’elle recommence :
Votre prochaine mission est plus compliquée ; vous devez voler le paquet 8.8. Avec un associé au nom de Cheval.
— Vous avez vu je n’ai même pas eu besoin de payer cette machine pour avoir ce café...comestible...
Elle toussote encore au mot « vu ». Je ne comprends toujours pas ce qu’il y a de drôle.
Vous devrez sortir de la station pour cette mission. Prenez l’escalier B, l’ascenseur n’est pas fiable. L’escalier sera très peu éclairé faites attention au retour, d’autres voleurs voudront le paquet.
Après avoir monté l’escalier B, je me retrouve enfin à la lumière du jour. Je peux être sûr que je suis mort, ici, le soleil est gris, légèrement plus clair que le ciel. La terre est totalement bétonnée, c’est une ville désertique, avec un immeuble tous les dix mètres. Même si je m’y attendais un peu, je suis déçu. Je dois maintenant trouver « Cheval ». Soudains, j’entends derrière moi :
— Hey, c’est toi Trio ?
Trio est votre pseudo, retournez-vous, c’est l’associé Cheval.
Je me retourne, trop content que quelqu’un m’adresse enfin la parole. D’une voix peut-être un peu trop enjouée, je réponds :
— Oui, salut !
Avec une drôle de tête, l’autre me fait signe de le suivre.
Chapitre 3
On est dans une petite salle de bureau. L’autre mec, ou fille je ne sais pas trop en fait, me dit de m’assoir et me tend un jus d’orange. L’orange, j’avais oublié que cette couleur existait. Ce n’est pas bon. Cheval me montre un plan de l’immeuble : on doit intercepter un paquet qui sera échangé entre l’agence de l’immeuble et un hélicoptère.
— Voilà le plan : on monte sur le toit, on attend l’hélico en se faisant passer pour des salariés, on redescend par l’aération jusqu’à l’étage trois. Après le reste on devra aller vite, l’aération est trop étroite donc on passera par les escaliers. Discrétion et rapidité, compris ?
— Ouais.
— Bon j’arrive, je vais fumer.
Quand Cheval revient, on se précipite dans le bâtiment. On vole des uniformes d’employés de ménage. Les casiers ont de gros cadenas. Heureusement Cheval a des petits gadgets qui l’aident à désintégrer des trucs avec un « bip ». On rejoint les autres salariés, on se fond dans la masse.
— Tout le personnel du secteur C est demandé au dernier étage, fait une voix dans les hauts parleurs.
On arrive sur le toit, en rang avec les autres en uniforme bordeaux, mais je me rends alors comte d’une chose :
— Cheval ! tu n’es pas du secteur C, regardes ton insigne ! tu es A !
Il fait mine de rien, mais je commence alors à remarquer toutes les différences entre son uniforme et le nôtre, il y en a trop, entre la capuche et la forme du pantalon, jusqu’à la taille des chaussettes. On va se faire cramer. Avec un grand bruit et une rafale de vent, l’hélicoptère se pose enfin sur le toit. Deux femmes et un homme sortent avec plusieurs colis. L’hélico repart.
— Trio, le 8.8 c’est le colis vert, là, me glisse Cheval.
— Ok.
Chaque employé prend un paquet, qui lui est assigné jusqu’à la redescente du bâtiment. Cheval se fait assigner le colis vert, heureusement. Cependant le plus dur est à venir, on doit rejoindre les conduits d’aération. Soudain, mon cœur fait un bond : une grosse voix nous interpelle :
— Eh, toi là !
Une femme à la carrure impressionnante fait face à Cheval.
— T’es pas un C, t’es un A, qu’est ce que tu fous ici ?
Je vois avec horreur la femme arracher le colis vert des mains de mon associé. Pendant que la tension monte je réfléchis : Je sais que Cheval ne passera pas. Je décide donc de l’abandonner, vite fait, je lance à la dame que je prends son paquet, heureusement elle est d’accord, Cheval me regarde, perdu. Je suis le convoi d’employés de secteur C. Je me glisse dans les vestiaires, je retire l’uniforme et enfin, je m’enfuis à l’air libre. Et là, c’est la panique. Qu’est ce que j’ai fait, où est Cheval ?
— Mais qu’est-ce que j’ai fait merde ! Bordel, et ce foutu mal de tête !
Vous avez réussi votre mission, ramenez le paquet au...métro et faites attention aux voleurs.
Petite voix m’avait manqué, elle me rassure un peu. Pourquoi cette hésitation au mot « métro ? »
— Et Cheval ?
Cheval n’est plus opérationnel.
J’ai vraiment merdé, mais ça veut dire quoi « plus opérationnel » ? On est déjà morts donc...C’est vraiment glauque tout ça. Pour finir, je rentre sans souci à ma station, je refais le même chemin en sens inverse. Et me revoilà dans la pièce ronde et sombre où tout a commencé. Je ferme les yeux, ça me fait un peu moins mal à la tête, et j’attends les ordres.
Vous voilà à votre troisième et avant-dernière mission : vous devrez...Arthur ?
Je ne l’entends plus, je sens le rasoir dans ma main, la musique en arrière-plan, la mousse à raser. Et je me rends compte d’autre chose : ce n’est pas n’importe quelle musique. C’est une femme qui chante sur de la guitare. Je reconnais sa voix, c’est Petite voix. Elle me demande : « Tu es sûr que tu ne veux pas d’aide ? », je commence à me raser et je m’entends répondre : « t’inquiète, je peux me raser dans le noir, continue de chanter c’est beau. » Mais la musique s’arrête.
Arthur ! Il se débranche ! Il...
Je n’entends pas le reste, elle a dû laisser son micro car sa voix se fait lointaine. Il se passe quelque chose. Je me réveille dans mon lit, Petite voix commence :
Bonjour Arthur, vous rappelez vous de votre rêve ? Vous étiez agité.
— Non, je mens en sentant son soulagement. J’ai trop peur qu’elle veuille m’effacer mes souvenirs ou quelque chose du genre.
Eh bien félicitation, vous venez de réussir votre troisième mission, vous avez réussi à survivre à un ralentissement cardiaque. Vous aurez besoin de cette faculté pour la dernière mission.
— Le cœur n’est pas sensé être arrêté quand on est mort ? C’était juste ça la mission ?
Je pose trop de questions, Petite voix ne répond à aucune d’elles. C’était quoi ce souvenir ? Petite voix faisait partie de mon entourage proche avant ma mort ? Pourquoi aucun de mes souvenirs n’a d’image ? Si ce sont des souvenirs de ma vie passée, alors Petite voix est peut- être toujours vivante ? Comment peut-elle communiquer avec les morts ? Il y a aussi cette phrase : « Il se débranche ! », j’ai l’impression de me trouver à un fil de la vérité. Mais je ne suis pas un héros. Peut-être est-ce cela le dernier test, voir si je continue à me casser la tête en vivant, ou si j’abandonne en bon mort. Je suis mort, et je le sais, je le sens dans mes tripes. Des gens que je ne me rappelle même pas avoir connus me manquent. Tout me manque alors même que je ne me souviens de rien.
— C’est quoi ma mission Petite voix ?
Elle n’a pas le temps de me répondre, tout mon monde se met à trembler.
Chapitre 4
J’entends des explosions, des cris. C’est alors que les murs de ma chambre se craquellent, des lumières et des ombres se mettent à bouger, des morceaux de bâtiments flottent dans le vide. Plus rien n’a de sens, les lois de la physique sont en panique. Je m’accroche à une gouttière abandonnée, mais je glisse et tombe sur un immeuble renversé. J’ai très mal à la tête, je décide de lâcher prise, après tout, je suis déjà mort non ? Je passe une demi-heure à tomber, tomber...
Je me réveille dans un matelas, en sueur, dans une pièce très sombre, dans le bruit et l’agitation. En fait je ne sais pas si je suis réveillé, je sens l’agitation mais je ne la vois pas. Je n’ai plus d’oreillette, mon crâne rasé est couvert d’électrodes et mon bras est relié à une aiguille.
— Arthur, tu as tes souvenirs ? Vite lève-toi ! CONNECT explose.
Elle m’emmène avec elle, on marche dans le noir, j’ai l’impression de m’y faire plutôt vite. Elle me dit que c’est normal, que je suis aveugle depuis tout petit, que mes souvenirs ne vont pas tarder à me revenir. Je ne comprends rien, on dévale des escaliers avec plein d’autres gens qui courent autours, on descend toujours plus bas. Les sons résonnent fort dans ma tête, mais ma migraine est partie. De longues minutes de course plus tard, on arrive enfin dans une sorte de barque, ça tangue en tous cas, on peut enfin s’assoir. Des souvenirs me reviennent peu à peu. Le choc me percute comme un coup de fouet, tout mon corps tremble.
— Je sais, c’est le stress charnel, c’est le temps que ton corps se réhabitue. Ton temps de réaction va être un peu augmenté, tu vas trembler pendant quelques heures. Tes souvenirs reviennent ?
— Oui...Tu es Romane non ?
— Oui.
Romane et moi, on travaillait pour une boite d’informatique, CONNECT, qui commençait à vouloir contrôler tout le monde. Pour essayer de l’en empêcher, on a essayé de la saboter. Mais on s’est fait capturer, ma punition est qu’ils m’ont transformé en cobaye pour leur nouvelle technologie : la Hellbox, un programme conçu pour laver le cerveau des jeunes et obliger tous les civils à récupérer des données pour CONNECT. J’avais en fait piraté des données lors de mes « missions » où je récupérais un paquet, un paquet de données. Ils avaient puni Romane par la torture psychologique : en la faisant devenir ma guide, elle participait à mon lavage de cerveau. Elle avait dû essayer de me donner des indices, comme ricaner au mot « vu », moi qui suis aveugle, par exemple. Le clown aussi, le discret « bip » que mes oreilles plus exercées avaient remarqué, m’avait mis sur la piste. Je réalise une dernière chose : Le souvenir de Romane qui me procurait de si grosses migraines. Romane vivait avec moi, car on était mariés, depuis deux ans. J’aurais aimé pouvoir la regarder. La Hellbox m’avait au moins offert une chose : la vue.
— On est où ?
— CONNECT a explosé, notre plan a bien fonctionné mais ça a été long. Là on est dans les égouts, on s’échappe de la ville, dit-elle en me prenant la main.
— Par les égouts ?
— Oui, pour la discrétion. Ça va ?
— Ouais, j’ai tous mes souvenirs je crois...Notre plan a marché en fait, on a sauvé la ville, avec un petit temps de retard c’est tout.
— Oui, on est des héros.
Finalement je suis bien un héros, j’ai sauvé la ville, même si je ne m’en rappelle plus très bien. Je sens de la chaleur remonter dans mon corps, tous mes sentiments jusqu’ici endormis refont surface, j’ai besoin de contact, de pleurer et de rire. Je tâtonne dans le noir, je prends Romane dans mes bras. La vraie vie m’avait manqué, j’ai envie de dévorer une tablette entière de chocolat. Je crois que je ne toucherais plus jamais à quoi que ce soit qui ait un rapport avec l’informatique. Je serre plus fort la main de Romane.
— Je t’aime.
Romane, Arthur, 04 missions, Chute de Connect.
Par Maëlle HOCHET
Elève de 2nde 5, lycée Henry-Avril de Lamballe
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