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De guerre lasse : Retour sur les relations tendues entre la Russie et ses anciens vassaux







Le 9 novembre 2020, la République d'Arménie et la République d'Azerbaïdjan ont conclu un cessez-le-feu sous la médiation de Vladimir Poutine suite à la guerre du Haut-Karabakh (également connu sous son nom arménien Artsakh). 20 ans après l'effondrement de l'URSS, quel rôle continue de jouer la Russie dans ce conflit ?



Le territoire et les peuples


La région du Caucase est structurée par deux chaînes de montagnes, le Grand Caucase et le Petit Caucase, situés entre la Mer Noire et la Mer Caspienne. Elle a été conquise par l'Empire Russe au XIXe siècle et conservée en quasi-totalité par l'URSS jusqu'à sa dissolution. De nombreux peuples s'y trouvent, dont 4 disposaient de leur propre république soviétique : les Russes, les Géorgiens, les Arméniens et les Azéris.


Les Russes parlent une langue indo-européenne slave, le russe, et sont majoritairement chrétiens orthodoxes. Les Arméniens parlent également une langue indo-européenne, et disposent de leur propre église chrétienne, l'église apostolique arménienne. Les Géorgiens parlent une langue non indo-europoéenne mais liée à d'autres langues du Caucase, et sont majoritairement chrétiens avec une minorité musulmane, notamment dans l'Adjarie au sud-ouest de la Géorgie, près de la Turquie. Les Azéris sont quant à eux un peuple qui se trouve majoritairement en Iran, de religion majoritairement musulmane chiite mais parlent l'azéri, langue apparentée au turc, plutôt qu'une langue iranienne.



Les découpages soviétiques et post-soviétiques


Alors qu'après l'effondrement de l'Empire russe, les républiques indépendantes de Géorgie, d'Arménie et d'Azerbaïdjan étaient en guerre les unes contre les autres, elles ont rapidement été intégrées à l'URSS, qui a constitué en 1920 le Kavbiuro, chargé de décider des frontières entre ces pays qui étaient alors devenus des républiques soviétiques. Alors qu'au Nord du Grand Caucase se trouvait la république soviétique de Russie, le Kavbiuro a divisé le Sud entre Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, cette division comporte deux particularités : l'Azerbaïdjan possède une exclave, le Nakhichevan, presque enclavé entre l'Arménie et l'Iran à l'exception d'une courte frontière avec la Turquie. En outre, l'Azerbaïdjan soviétique comportait l'oblast autonome du Nagorno-Karabakh, où les Arméniens sont majoritaires mais qui est séparé du reste de l'Arménie par le corridor de Lachin, large de 5 km.


Gorbatchev ayant refusé en 1988 la sécession du Nagorno-Karabakh du reste de l'Azerbaïdjan, cette division a été maintenue en l'état jusqu'à l'éclatement de l'URSS, et constitue encore aujourd'hui les frontières internationalement reconnues entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.


Cependant, si les frontières officielles n'ont pas changé, les alignements politiques et militaires ont quant à eux changé, et certaines anciennes républiques de l'URSS ont profité de leur indépendance pour cesser leur alignement avec la Russie.


Dans le Caucase méridional, l'Arménie est restée sous influence russe, en rejoignant notamment l'Union Économique Eurasiatique (UEEA) et l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC). L'UEEA est une union douanière facilitant le commerce, alors que l'OTSC est une structure de défense mutuelle analogue à l'OTAN. En revanche, la Géorgie et l'Azerbaïdjan se sont rapprochés du monde occidental dans le cadre de l'organisation du GUAM (Géorgie Ukraine Azerbaïdjan Moldavie), sans pour autant rejoindre l'OTAN.



Le glacis défensif


L'importance de ces territoires était exacerbée pendant la Guerre Froide par la présence de la principale frontière terrestre directe entre l'URSS et l'OTAN (l'autre étant entre la Norvège et la Russie). La Russie a gardé une base militaire près de cette frontière, à Gyumri (anciennement Leninakan) qui se trouve en Arménie et à moins de 10 km de la Turquie. En revanche, les autres républiques (Géorgie et Azerbaïdjan) se sont rapprochées de l'Occident, avec par exemple l'établissement du GUAM (Géorgie Ukraine Azerbaïdjan Moldavie) et la demande récente de la Géorgie, de l'Ukraine et de la Moldavie de rejoindre l'Union Européenne.


L'alliance russo-arménienne se retrouve aujourd'hui dans la structure de l'OTSC (Russie, Belarus, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan), dont le traité contient, à l'instar de celui de l'OTAN, une clause de défense mutuelle. Cette présence russe fournit ainsi à la Russie un glacis défensif dans le Caucase, qui va au-delà de la frontière du Grand Caucase dont le relief facilite la défense mais dont les territoires riverains au Nord ne sont pas acquis à la Russie (on y trouve notamment la Tchétchénie, qui avait fait sécession pendant les années 1990).



Les ressources énergétiques de la Mer Caspienne


Géographiquement, un axe Russie-Géorgie-Arménie-Iran sépare d'une part l'Europe et la Turquie et d'autre part l'Azerbaïdjan et l'Asie Centrale. Or la mer Caspienne est riche en ressources énergétiques gazières et pétrolières, et tout pipeline la reliant à la Turquie et à l'Europe doit passer par l'un des 4 pays de l'axe mentionné. De tels pipelines ont été réalisés en passant par la Géorgie: le pipeline Bakou-Tbilisi-Ceyhan pour le pétrole et le corridor gazier sud-européen pour le gaz naturel.


On peut également citer la voie ferrée Kars-Akhalkhalaki qui permet de relier l'Azerbaïdjan et la Géorgie à la Turquie sans passer par la frontière terrestre turco-arménienne, qui est fermée. La maintien d'une influence russe en Arménie, et de la pression exercée sur la Géorgie par le moyen des conflits gelés de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, permet donc de peser sur le commerce de pétrole et de gaz entre l'Azerbaïdjan ou

l'Asie centrale et l'Europe.




Nous avons vu dans quel contexte historique et géographique le conflit du Haut-Karabakh a lieu, ainsi que les intérêts qu'a la Fédération de Russie à maintenir une présence militaire dans la région, présence renforcée lors de l'accord de cessez-le-feu de 2020. Cependant, au moment où cet article est écrit (avril 2020), l'armée russe est fortement mobilisée dans l'invasion de l'Ukraine ayant débuté le 24 février 2022, ce qui soulève sur la question de la pérennité du dernier cessez-le-feu qui repose sur des forces russes pour le maintien de la paix. Un affaiblissement de la Russie pourrait alors profiter à l'Azerbaïdjan.



Par M. SERGENT


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