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Tu seras un homme, mon fils




Air poupon et regard d’ange : les photos d’enfants sont attendrissantes. Pourtant, pas besoin de photographier leur visage pour raconter de belles histoires...




Nous sommes sur un terrain de basket à New York, un samedi d’été. Les pères et leur fil retrouvent leurs amis pour dribbler ensemble. L’ambiance est chaleureuse, presque amicale. Je regarde la scène, je photographie ce moment simple. Soudain sur ma gauche, un mouvement attire mon regard. De dos, un petit garçon, trois ans tout au plus, marche d’un pas mal assuré pour rejoindre un homme massif qui l’attend, immobile comme une statue de géant. Tout va très vite, il ne me reste qu’une seconde… Je prends ma photo.




On ne connaît pas ce petit garçon, pourtant on est proche de lui car on est à sa hauteur et on lui transfère instinctivement nos émotions, notre propre histoire. Notre regard suit le même chemin que le sien, on regarde au même endroit. Je me suis légèrement baissé pour que de notre place, nous soyons son égal : l’univers de son père, celui des adultes, des « grands », reste décidément flou, incertain. On a presque envie de le protéger, on a peur qu’il tombe. Même floue et mal cadrée, cette photo raconte une belle histoire.




Ici, il est question d’une relation. En se plaçant derrière ce « petit homme », j’ai voulu inviter à se mettre à la place de l’enfant, à faire le chemin avec lui vers son père comme nous aimerions peut-être encore le faire avec le nôtre. Ce tracé nostalgique entre mon passé, notre présent et son futur invite la larme à l’œil : ce moment n’est peut-être pas rare, mais il est unique. La photographie est une question d’angle et a un impact sur l’image produite. La même photo prise de haut (en plongée : position dominante) ou de bas (contre-plongée : position soumise) n’aurait pas dit la même chose. Si j’avais montré le visage de l’enfant, on ne se serait pas identifié à lui, car on aurait vu son regard. Si j’avais photographié les deux personnages de côté, j’aurais établi entre eux un face à face asymétrique, une relation d’autorité. Être photographe, c’est cela : essayer de montrer les choses sous un angle différent.


Ronan Chérel

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